Tribune publiée dans le monde du 06 décembre 2022.
Les personnes trans existent. Dans toute société démocratique fonctionnelle, il faut s’accorder sur des principes comme préalables à tout débat. Un des principes dans notre pays est le suivant : les personnes trans ont des droits.
La République Française reconnaît l’identité de genre comme motif de discrimination sanctionné par le code pénal (art. 225-1), elle limite la liberté d’expression face à l’incitation à la haine fondée sur l’identité de genre (art. 24 sur la liberté de la presse, art. 6 de la loi de confiance dans l’économie numérique, art. L212-1 du code de sécurité intérieure), elle autorise les personnes trans à changer de prénom et de sexe à l’état civil sans être stérilisées (loi de modernisation de la justice du 21e siècle), elle invite les personnels éducatifs à respecter le prénom d’usage des enfants trans (décision du 28 septembre 2022 du Conseil d’État), elle oblige les parents, personnels encadrants, et professionnels de santé, à ne pas réprimer l’identité de genre des personnes trans, même mineures (loi de 2022 contre les thérapies de conversion).
La reconnaissance de l’existence des enfants trans est un préalable à tout débat démocratique concernant leur accompagnement. Ceux-ci ont des droits spécifiques : le premier d’entre eux est la reconnaissance de leur identité de genre, c’est-à-dire le respect de leur prénom d’usage, de leurs pronoms, et de leur civilité.
Ils ont également des besoins spécifiques : quand vient la puberté, certains de ces adolescents connaissent une exacerbation du mal-être qui les habite. Le regard social posé sur leur corps en pleine évolution les enferme dans un rôle de genre dont ils ne veulent pas. Ils peuvent alors être en recherche de moyens de suspendre ou modifier la trajectoire prise par leur développement corporel, afin d’être reconnus pour ce qu’ils sont. Certains d’entre eux veulent être reconnus en tant qu’hommes, d’autres en tant que femmes, d’autres encore, les jeunes non-binaires, ne veulent être reconnus dans aucun de ces rôles.
Il faut prendre conscience de la force et de la violence du regard social que ces jeunes subissent. Celles-ci s’expriment partout : dans leur famille, à l’école, dans l’espace public, dans le système de soins et d’aide sociale, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la presse, à la radio, à la télévision. L’enquête française Virage LGBT de l’Ined permet d’en prendre la mesure : 6 jeunes trans sur 10 subissent des violences intrafamiliales, 1 jeune trans sur 5 est exclu du domicile parental, 8 personnes trans sur 10 subissent des violences dans l’espace public, la moitié y subissent des violences sexuelles. Une étude de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux confirme : jusqu’à 5 Français trans sur 10 ont subi des discriminations de la part du personnel éducatif, près d’un quart d’entre eux ont cherché à quitter l’école en raison du fait d’être trans. Dans ce contexte où aucun espace n’est sûr pour eux, les jeunes trans peinent à se projeter dans le futur, 86% d’entre eux songent à se suicider, 42% ont déjà tenté de le faire (USTS 2015).
Dans ces circonstances mortifères, en proie à des discours néfastes et des violences extrêmes, les jeunes trans doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement soutenant et bienveillant. Les personnels accompagnants doivent créer des environnements protecteurs où les jeunes trans puissent vivre leur identité, au moment présent, quelle qu’elle soit. Ils ne doivent pas prédéterminer le genre ultime des personnes, ou les pousser dans une direction, mais ouvrir un espace de possibles.
Mettre à disposition des jeunes trans ou en questionnement de genre un environnement social bienveillant implique de toujours laisser la porte ouverte aux sentiments de déception, de regret, aux désirs éventuels de choisir un autre parcours de transition, ou de revenir sur ses décisions. Ouverts à l’expérience du sujet, les personnels accompagnants doivent porter une écoute accueillante à toutes les pistes que souhaitent découvrir ou redécouvrir les jeunes en exploration de genre.
Les soins de santé spécifiques aux adolescents trans font quant à eux l’objet de débats scientifiques et juridiques complexes. Les soignants doivent veiller à la maturité cognitive des adolescents à qui ils les proposent, mesurer avec eux, et leurs parents, la balance bénéfices-risques de chaque option de soins. Les retardateurs de puberté par exemple ont des effets entièrement réversibles et peu d’effets indésirables pour l’adolescent, ils permettent à celui-ci d’avoir plus de temps pour réfléchir au parcours de transition qu’il souhaite mener. Les hormones sexuelles et la chirurgie ont en revanche des effets durables, et peuvent entraîner des effets indésirables. Les principes bioéthiques modernes doivent alors ensemble être soupesés, confrontés, mis en balance.
Le refus d’accorder ces soins doit aussi être évalué : laisser s’imposer une puberté alors qu’on dispose des ressources médicales pour la différer chez des jeunes qui en souffrent et demandent ces traitements peut être considéré comme contrevenant aux principes de l’éthique médicale de bienfaisance, non-nuisance, mais aussi d’autonomie et de justice.
Le droit estime que des adolescentes mineures sont assez autonomes pour prendre des hormones contraceptives, pour avorter, ou au contraire pour devenir mères, sans que l’autorité parentale puisse le savoir ni intervenir et sans que des considérations de regrets futurs ne viennent rompre ce droit. Quelle justice y aurait-t-il à refuser la reconnaissance de l’autonomie médicale des adolescents mineurs qui souhaiteraient transitionner ? Quel nom donner à cette peur irrationnelle de la transition de genre, et à ceux qui propagent cette peur ?
Les jeunes trans existent. Il est temps de reconnaître leurs droits, de répondre à leurs besoins en santé, de lutter contre le rejet de la diversité humaine, contre l’irrespect des droits universels, et contre les stéréotypes de genre qui nous enferment tous.
Signataires de la plateforme Trajectoires Jeunes Trans :
Florence Ashley, juriste et bioéthicienne à l’université de Toronto
Thamy Ayouch, enseignant-chercheur (Université Paris-Cité), psychanalyste
Chiara Balem, psychologue à l’Espace Santé Trans
Alexandre Baril, PhD, Professeur agrégé Université d’Ottawa
Laszlo Blanquart, Coordinateur du pôle santé et co-directeur d’ACCEPTESS-T
Julie Brunelle, psychiatre à l’AP-HP
Laurence Brunet, juriste, CRMR DEV GEN, Hôpital Bicêtre, Paris
Nathalie Chabbert Buffet, professeur d’endocrinologie et médecine de la reproduction à l’AP-HP
Jean Chambry, pédopsychiatre, chef de pôle au Ghu psychiatrie et neurosciences Paris
Anne Claret Tournier, psychiatre à l’AP-HP
David Cohen, professeur de psychiatrie, chef de service de psychiatrie de l’enfant et adolescent du CHU de la Pitié Salpêtrière
Agnès Condat, pédopsychiatre à l’AP-HP, coordinatrice médicale de la plateforme Trajectoires Jeunes Trans IDF
Clémence Delcour, gynécologue médicale à l’AP-HP
Karine Espineira, sociologue à l’université Paris 8
Florence Eustache, professeur en biologie médicale à l’AP-HP
Philippe Faucher, gynécologue obstétricien à l’AP-HP
Niloufar Forno, psychologue à l’Espace Santé Trans
Sarah Gaspar, pédiatre à l’AP-HP
Marlène Gindroz, cadre de santé à l’AP-HP
Serge Hefez, Psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste
Laurence Hérault, professeur d’anthropologie à l’université Aix-Marseille
Sarah Iribarnegaray, psychiatre à l’AP-HP
Nicolai Johnson, endocrinologue à l’AP-HP
Chrystelle Lagrange, psychologue clinicienne
Anne-Sophie Lambert, endocrinologue à l’AP-HP
Elise de La Rochebrochard, directrice de recherche à l’Ined
Charlotte Lebrun, psychologue dans le service d’endocrinologie de l’hôpital Robert Debré
Sophie Le Goff, médecin généraliste
Alexandra Le Guiner, médecin généraliste
Rachel Lévy, professeur en biologie de la reproduction à l’AP-HP
Silvia Lippi, psychanalyste
Grégor Mamou, pédiatre à l’AP-HP
Laetitia Martinerie, professeur d’endocrinopédiatrie, AP-HP
Nicolas Mendes, psychologue à l’AP-HP
Pierre-Yves Mollaret, Psychologue Clinicien
Clément Moreau, psychologue à l’Espace Santé Trans
Émilie Moreau, psychologue-sexologue à l’AP-HP
Marie Msika Razon, médecin généraliste responsable du centre de santé sexuelle des Bluets
Olivier Ouvry, psychiatre et psychanalyste, Médecin-Directeur du CMPP Pichon-Rivière, maître de conférences en psychologie à l’université Sorbonne-Paris-Nord
Émilie Plantive-Pochon : psychologue clinicienne à l’AP-HP
Anaïs Perrin-Prevelle, co-présidente d’OUTrans
Fanny Poirier, psychologue à l’AP-HP
Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, professeure titulaire en travail social, Université de Montréal
Jonathan Rausky, chirurgien à l’AP-HP
Céline Rogez, assistante sociale du service d’endocrinologie de l’hôpital Robert Debré
Axelle Romby, sexologue, centre de santé sexuelle de l’Hôtel Dieu, Paris
Maryse Rizza, Présidente de l’association Grandir Trans, Maîtresse de conférences à l’université de Tours
Myriam Sainte-Marie, cadre supérieur de santé à l’AP-HP
Martin Siguier, infectiologue à l’AP-HP
Maud-Yeuse Thomas, cofondatrice de l’Observatoire des transidentités (ODT)
Claire Vandendriessche, co-secrétaire générale du Réseau Santé Trans, coordinatrice associative de la plateforme Trajectoire Jeunes Trans
Albane Vigneau, docteure junior en gynécologie médicale
Laure Woestelandt, pédopsychiatre à l’AP-HP
Autres signataires :
Noé Alcolea, art-thérapeute
Emmanuel Allory, Médecin généraliste, Rennes
Roxane Aragones, Médecin généraliste
Orèn Aubart, interne en médecine interne, étudiant en sexologie
Lysistrata Barbiere, Doctorante en études de genre (Paris 8), psychanalyste
Jonathan Béasse, Médecin généraliste sexologue
Alain Berliner, endocrinologue transgenrologue
Vincent Berthou, Pédopsychiatre, Référent médical de la MDA de Strasbourg
Laurane Besnard, co-fondatrice et secrétaire de l’association Queers Uni.e.s de Bretagne (QuB)
Cassandra Bois, présidente du Front Transfem
Blandine Boquet, gynécologue
Clémence Botti, psychologue
Myriam Bouabdillah, médecin généraliste
Céline Bouennec, infirmière
Élie Bouët, responsable de la feuille de route LGBTQIA+ du Planning Familial
Laura Boulierac, psychologue clinicienne
Jeanne Boutemy, médecin généraliste
Romain Boutonné, Médecin généraliste (Paris)
Chrystelle Breuil, Trans Santé France
Pierre Cahen, médecin sexologue CheckPoint Paris
Coraline Caïa, Juriste
Rémi Cappanera, médecin généraliste
Marie de la Cheneliere, psychopraticienne de la relation d’aide
Alice Chenu, psychologue sexologue
Anne-Marie Dauvin, conseillère conjugale et familiale en centre de santé sexuelle sur Paris et IDF
Marine Delabarre, médecine générale à la Bastide de Sérou
Coraline Delebarre, psychologue / sexologue
Virginie Demeester, médecin généraliste
Béatrice Denaes, co-présidente de Trans Santé France, journaliste, enseignante à Sciences Po
Laura de Salas Prado, médecin généraliste à Saint-Etienne
Fatimata Diagana, médecin généraliste
Laure Dominjon, Médecin généraliste
Angèle Droulers, médecin généraliste
Camille Duplay, médecin généraliste
Laurence François, psychiatre et sexologue à Paris
Lucas Freton, chirurgien au CHU de Rennes
Juliette Galopeau, médecin généraliste
Cindy Garcia, Psychologue
Marieke Géminel, médecin généraliste
Alain Giami, PhD, Directeur de recherche Émérite / Emeritus Research Professor, Vice – President World Association for Sexual Health, Associate Editor in Chief : « Sexologies : European Journal of Sexology and Sexual Health »
Sophie Gibert, médecin généraliste
Julie Gilles de la Londe, médecin généraliste centre de santé Aubervilliers
Alix Girard, militante au Planning Familial 35
Thierry Goguel d’Allondans, anthropologue (Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles – Université de Strasbourg)
Armelle Grangé-Cabane, médecin généraliste
Garance Gribé, sexologue
Vanessa Hiblot, médecin urgentiste et généraliste
François Istasse, praticien hospitalier CHU Grenoble Alpes, gynécologue obstétricien
Ingrid Julier, PH endocrinologie, CHU Nîmes
Lucie Jurek, praticien hospitalo-universitaire en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Bron
Simon Jutant, co-auteur du “Rapport Relatif à la Santé et aux Parcours de Soins des Personnes Trans”, co-directeur d’Acceptess-T
Claudià Landi, Médecin Généraliste
Eugénie Launay, psychologue clinicienne en libéral
Laurine Lebas, médecin généraliste à Lyon
Jonathan Lechwar, Sage-femme, Saint-Étienne
Lucie Legros, médecin généraliste
Clémence Le Joubioux, Médecin généraliste
Florence Lelièvre, Gynéco-sexologue en CPEF-CeGIDD
Baptiste Leroy, médecin généraliste
Thelma Linet, Gynécologue
Raphaël Magnan, co-président du ReST
Claudine Mauri, médecin généraliste , Lyon
François Medjkane, Pédopsychiatre, Professeur des Universités, Secrétaire Général Trans Santé FPATH
Léna Monville, interne en médecine générale à Bordeaux
Nicolas Morel Journel, urologue, co-président de Trans Santé France (FPATH)
Marie-Catherine Morin Charbonnier, gynécologue-obstétricienne, Rennes
Charlotte Mouton, médecin généraliste (Arcueil)
Cyrielle Multon, Kinésithérapeute
Géraldine Naly, Pilote de ligne, membre de Trans Santé France collège 1 (personne concernée)
Édith Omon, médecin généraliste à Nantes
Séverine Oriol, médecin généraliste
Benjamin Pitcho, avocat à la Cour, Maître de Conférences à l’Université
Lydie Porée, membre du bureau du Planning Familial
Elodie Pugens, médecin généraliste
Siddi Quéhan, psychologue à Montauban (82) et Toulouse (31)
Laurent Raguénès, gynécologue-obstétricien au SPOT Montpellier (AIDES)
Tom Reucher, psychologue clinicien
Sidonie Richard, médecin généraliste et médecin régulateur à Toulouse (31)
Loïc Roullaux, Psychanalyste, Analyste Psycho-Organique
Fannie Rousseau, psychologue clinicienne – sexologue en libéral et sur France Terre D’asile
Ludiwine Sabalot, psychologue et sexologue au sein de l’AP-HP et au sein du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis (CeGIDD)
Adèle Salaün, médecin généraliste
Ariane Salomé-Jeunesse, médecin généraliste en Ariège (09) et à Toulouse (31)
Camille Sauvée, gynécologue obstétricienne à Quimper
Arnaud Sevène, praticien hospitalier au CHG de St Denis, sexologue, président de la CoSH (Confédération Sexualité Humaine)
Maÿlis Staub, Entrepreneure / mère d’enfant transgenre
Chloé Toutain, psychologue, Docteure en Psychologie Clinique et Psychopathologie
Camille Urbejtel, médecin généraliste
Florence Varin, responsable du Lieu de vie spécialisé pour personnes trans le JDT
Ségolène Veau, biologiste de la reproduction au CECOS de Rennes et membre de Trans Santé France
Camille Vidal, psychiatre sur le GH Paul Guiraud
Richard Vidalenc, Gestalt thérapeute, Sexothérapeute
Lauriane Vignocan, Médecin généraliste
Justine Wyts, médecin généraliste libéral et médecin-coordo en Maison des Ados dans les Hautes-Alpes
Vanessa Yelnik, Médecin généraliste